"La beauté sauvera le monde" - entretien (extraits) avec A. Mnouchkine

J'avais envie de vous faire partager des extraits de cette sublime interview d'Ariane car elle rentre en résonance avec tous les questionnements de notre groupe du mardi, face à l'écriture puissante de ce chef d'oeuvre qu'est QUAI OUEST: comment représenter l'exclusion, la situation tragique de ceux que la société a rejetés. Comment traiter ces personnages ? leurs corps ? A quel endroit de nous-mêmes nous placer pour faire entendre leurs voix ?
Et d'une manière générale, puisque nous nous confrontons souvent à des écritures tragiques:
Quel type (forme) de théâtre, aujourd'hui, pour rendre compte du monde ? Quels en sont les pièges ?
Quoi faire du chaos et de la désespérance qui semblent régner ?

La persistance du désir de beauté, entretien avec Ariane Mnouchkine

Comment traduisez-vous cet idéalisme qui vous tient à cœur ? 

A.M. : Il faut savoir quelle conception de l’humanité nous soutenons. Je ne pense pas que l’humanité soit mauvaise, mais qu’il existe du mauvais dans l’humanité. Si le théâtre ne fait que montrer la face sombre de l’humanité, alors il n’est pas révélation. Nous sommes tous conscients de l’horreur du monde, ce que parfois nous oublions ce sont justement les possibilités d’amélioration, à travers ce qu’accomplissent les êtres humains qui tentent et parfois réussissent à transformer les choses, à travers toutes sortes d’actions qui luttent contre les maux qui nous oppressent, qui peuvent être extérieurs, mais aussi intérieurs ou intériorisés. Si on ne parle que du mal, on finit par lui ériger des statues. Ce n’est pas être naïf ou niais de dire cela. Au contraire, percevoir l’efficacité de ces infimes combats, de ces minuscules constances, nécessite une grande lucidité. 

Aller au théâtre, est-ce aussi une manière de résister au pessimisme ?

A.M. : Aller au théâtre, au cinéma, lire un livre, emmener ses enfants voir une exposition ou écouter un concert : c’est une affirmation, une résistance, d’autant plus dans une société menacée par le terrorisme. Je cite toujours Raymond Aubrac qui, lorsque Hélène Cixous lui demandait : « C’est quoi pour toi, la Résistance ? », répondait : « La Résistance, c’est l’optimisme. » Ces hommes et femmes de l’ombre qui s’engagent dès 1942, au plus profond de l’horreur, à un moment où de l’avis de tous mis à part quelques fous l’Allemagne nazie ne peut être que victorieuse, pourraient être qualifiés d’idéalistes forcenés. Ils ont cru à l’incroyable et ce sont eux qui ont eu raison. 

Comment développer l’imagination ? Le goût de la beauté ? 

A.M. : C’est un muscle l’imagination ! Venir au spectacle est un moment d’éducation, d’initiation à la beauté, à l’émotion, à la notion de métaphore. Dostoïevski souligne dans L’Idiot que « la beauté sauvera le monde ». Je pense que l’éducation à la beauté, la persistance du désir de beauté, la conviction que la beauté existe sauvent le monde. Les discours de mise en question systématique de la beauté conduisent d’ailleurs à une relativisation destructrice. Certaines œuvres expriment clairement une impuissance artistique et sémantique. Fondamentalement, la beauté se différencie, se reconnaît, même s’il y a toutes sortes de conceptions de la beauté. Et l’art, c’est du boulot ! 

Comment le théâtre peut-il garder ses distances face au monde ?
Comme tous les arts, le théâtre est un art de la métaphore, une transformation du réel. En représentant le monde, il approfondit, il éclaire, il ouvre, il déploie, il déplie… Nous recherchons au théâtre une forme de vérité, pas le réalisme qui est un non-théâtre. Si on ne voit au théâtre que ce qui est, pourquoi se déplacer ? Nous avons besoin au théâtre d’une transformation, d’un plus, de quelque chose qui soit plus vivant que la vie.

L'interview complète ICI


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