Partage de textes / Chambre d'écoute (9 avril)

Chambre d'écoute - Festival Longueur d'Ondes - Brest Février 2020





Chers participants aux ateliers du Théâtre des Quartiers d'Ivry.

En ce moment particulier où nous sommes tous confinés dans notre chez nous, un chez soi à réinventer, un dedans du dedans de soi à réinventer, je voudrais vous proposer de partager sur cette page les textes d'auteurs qui ont bouleversés quelque chose en vous. Voici quelques mots que les "élèves" de l'atelier du lundi ont partagé ensemble, comme une chambre d'écoute, de secret... et qui sait ce que cette récolte donnera.

J'espère que ça vous donnera des envies.

Prenez bien soin de vous.

Louise

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MAYA ANGELOU
Pourtant je m’élève

Vous pouvez me rabaisser pour l’histoire

Avec vos mensonges amers et tordus,

Vous pouvez me traîner dans la boue

Mais comme la poussière, je m’élève pourtant, Mon insolence vous met-elle en colère? Pourquoi vous drapez-vous de tristesse

De me voir marcher comme si j’avais des puits De pétrole pompant dans ma salle à manger? Comme de simples lunes et de simples soleils, Avec la certitude des marées

Comme de simples espoirs jaillissants, Je m’élève pourtant.

Voulez-vous me voir brisée?

La tête et les yeux baissés?

Les épaules tombantes comme des larmes. Affaiblie par mes pleurs émouvants.

Es-ce mon dédain qui vous blesse?

Ne prenez-vous pas affreusement mal

De me voir rire comme si j’avais des mines d’or creusant dans mon potager?

Vous pouvez m’abattre de vos paroles,

Me découper avec vos yeux,

Me tuer de toute votre haine,

Mais comme l’air, je m’élève pourtant.

Ma sensualité vous met-elle en colère?

Cela vous surprend-il vraiment

De me voir danser comme si j’avais des

Diamants, à la jointure de mes cuisses?

Hors des cabanes honteuses de l’histoire

Je m’élève
Surgissant d’un passé enraciné de douleur
Je m’élève
Je suis un océan noir, bondissant et large,
Jaillissant et gonflant je tiens dans la marée.
En laissant derrière moi des nuits de terreur et de peur Je m’élève
Vers une aube merveilleusement claire
Je m’élève
Emportant les présents que mes ancêtres m’ont donnés, Je suis le rêve et l’espérance de l’esclave.
Je m’élève
Je m’élève
Je m’élève



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Si vous saviez, passants, attirés
Par d'autres regards charmants
Que le mien, que de feu j'ai brûlé
Que de vie j'ai vécu pour rien


Que d'ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit...
Et mon coeur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendres


Ô, les trains s'envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare...
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez savoir


Pourquoi ma parole est si brusque
Dans l'éternelle fumée de cigarettes
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairs

Marina TSVETAEVA. mai 1913
Tiré du recueil « Le ciel brûle »


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Je me souviens d'un dessin humoristique paru dans un journal italien, il montrait un personnage anonyme qui se regarde dans la glace d'une armoire en se tenant le menton dans une attitude de perplexité. Et la légende disait à peu près cela : "Mon dieu ! Mais ce n'est pas moi, j'ai dû me perdre dans la foule!"

Ce sont des choses qui arrivent, nous ne nous reconnaissons plus, nous nous pinçons pour nous éveiller d'un rêve, mais c'est en rêve que nous nous pinçons. A chaque instant, nous faisons des gestes qui ne sont pas les nôtres, nous prononçons des mots qui appartiennent à d'autres, nous imitons les intonations et les expressions de ceux qu'inconsciemment nous désirons être. Essayer d'être un autre est une façon de devenir soi-même. Avec un peu de constance, il est possible d'y parvenir. Et se reconnaître dans un autre est certainement aussi troublant que de ne pas se reconnaître soi-même.

Le poids du corps, Trilogie New Yorkaise de Paul Auster



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Dis quand reviendras-tu ?
Barbara

Voilà combien de jours, voilà combien de nuits

Voilà combien de temps que tu es reparti
Tu m'as dit cette fois, c'est le dernier voyage
Pour nos cœurs déchirés, c'est le dernier naufrage
Au printemps, tu verras, je serai de retour
Le printemps, c'est joli pour se parler d'amour
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris
Et déambulerons dans les rues de Paris
Dis, quand reviendras-tu?
Dis, au moins le sais-tu?
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu
Ne se rattrape plus
Le printemps s'est enfui depuis longtemps déjа
Craquent les feuilles mortes, brûlent les feux de bois
À voir Paris si beau dans cette fin d'automne
Soudain je m'alanguis, je rêve, je frissonne
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne
Ton image me hante, je te parle tout bas
Et j'ai le mal d'amour, et j'ai le mal de toi
Dis, quand reviendras-tu?
Dis, au moins le sais-tu?
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu
Ne se rattrape plus
J'ai beau t'aimer encore, j'ai beau t'aimer toujours
J'ai beau n'aimer que toi, j'ai beau t'aimer d'amour
Si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir
Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs
Je reprendrai la route, le monde m'émerveille
J'irai me réchauffer à un autre soleil
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin
Je n'ai pas la vertu des femmes de marins
Dis, mais quand reviendras-tu?
Dis, au moins le sais-tu?
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu
Ne se rattrape plus

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MARIUS : Je te voyais partout, partout. Et puis, un jour, juste au large des Carolines, comme nous relevions des récifs de corail, il m'est arrivé une chose terrible, je n'ai pas pu penser à toi: J'avais oublié ta figure. Je te cherchais, je ne te trouvais plus. Je me prenais la tête dans les mains, je fermais les yeux de toutes mes forces ; je voyais du noir, je t'avais perdue. Alors, je suis devenu fou – et j'ai vite écrit à mon père pour qu'il m'envoie une carte postale, celle où on voit la terrasse du bar ; je lui avais dit que c'était pour avoir un souvenir du bar – mais la vérité, c'était pour toi, parce que debout derrière ton éventaire… Et cette photographie, tu ne peux pas t'imaginer comme je l'ai attendue… Je comptais les jours et même les heures… 
Enfin, en touchant Papeete, j'ai trouvé le courrier de France. Dans la lettre de mon père, il y avait la carte postale et une autre photographie : c'était celle de ta noce, devant la mairie. Alors, je les ai déchirées en tout petits morceaux, et je les ai jetées dans le vent des îles, et j'ai compris que j'avais gâché ma vie.

Fanny (Acte IV scène 3) Marcel Pagnol



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Par les villages de Peter Handke


[ ... ] Ne vous plaignez pas d'être seuls - soyez plus seuls encore. La nécessité fait le lieu: là derrière dans le noir d'encre la lueur d'un étang, là derrière au delà des croix du cimetière, les Pyramides; à côté , dehors, l'arbre passe sous forme d'autocar. Transmettez le bruissement. Racontez l'horizon. Exercez vous à transmettre - pour que la beauté chaque fois n'ait pas été rien. Racontez vous les images qui donnent la vie. Ce qui était bon, doit être. Ralentissez vous par les couleurs et inventez : voyez le vert et écoutez ce bruit qui résonne et transformez vos soupirs involontaires en plein chant de puissance ( ... ) Le temps de la vie ne doit-il pas être l'épisode du triomphe ? Exister doit être un triomphe ! ... 


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L’ange de Reims de Olga Sédakova

              à François Fédier

                      Es-tu prêt ?
                   sourit cet ange –

   je pose la question, bien que je sache :
          sans aucun doute tu es prêt ;
   car ce n’est pas au premier venu que je parle,
                        mais à toi,
homme dont le cœur ne souffrira pas qu’on trahisse
                     ton roi terrestre
   qui devant tout le peuple était ici couronné,
                   ni l’autre souverain,
          le Roi des Cieux, notre Agneau
mourant dans l’espérance qu’à nouveau tu m’entendes ;
                    encore et encore,
                   comme tous les soirs,
            les cloches appellent mon nom,
      ici, en cette terre où croît le bon froment
                    avec le raisin blond
                   et l’épi et la grappe
              s’abreuvent de mon timbre
                  Mais quand même,
          dans cette pierre rose qui s’effrite,
                      levant le bras,
            que la grande guerre m’a arraché,
         quand même, laisse-moi te rappeler :
                         es-tu prêt ?
               pour la peste, pour la faim,
les tremblements de terre, le feu, l’invasion des barbares,
              le déferlement des fureurs ?
sans doute, tout cela est grave, mais je ne parle pas de cela.
     Non, ce n’est pas cela qu’il me faut rappeler.
     Ce n’est pas pour cela que l’on m’a envoyé
                            Je dis:
                             es-tu
                              prêt
                  pour l’incroyable bonheur ?

                                                (traduction Philippe Arjakovsky)


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à l'heure où l'on poste la photo de la vue de sa fenêtre sur facebook...

Les Fenêtres

Charles BAUDELAIRE
Recueil : "Le Spleen de Paris"
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?
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Doucement avec l’ange
Pense à tes grimaces de fou entre tes murs
à ta passion d’enfant puni pour le rien faire
à la honte de ton nom la honte de parler
à tes hurlements de rage en direction du monde
à tes longs pets les soirs de contrariété
au désespoir de jamais réussir à être toi
à tous ces ratés queue en main bel étonné
aux hommes évalués d’un sale oeil tout rancune
à ton envie quelquefois de mordre en pleine chair
à tes sursauts de peur au moindre bruit dans le silence
à tes adieux de lâche aux femmes abandonnées
à tes injures en secret vers les contradicteurs
aux bestioles massacrées à tes coups de pied au chien
à tes stations devant la glace en murmurant pauvre con
alors doucement avec l’ange hein doucement

(Ludovic Janvier)
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https://www.youtube.com/watch?v=TfQJZ76WR0U

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Veille

Une nuit entière
jeté au près
d'un compagnon
massacré
avec la bouche
toutes dents dehors
tournée vers la pleine lune
avec la congestion
de ses mains
introduite
dans mon silence
j'ai écrit
des lettres pleines d'amour

Je n'ai jamais été
autant
attaché à la vie


(Giuseppe Ungaretti)
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A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voila le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l'œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent a chanter
A chanter a tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais la haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
(Jacques  Prévert)
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